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Les voitures n’ont vraiment pas d’avenir en ville

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Il est des villes pionnières qui récupèrent leur espace public. Elles le récupèrent face à l’automobile, disons-le franchement, puisque celle-ci a littéralement colonisé l’ensemble de l’espace urbain au cours du XXème. Je ne commencerai pas par les quelques initiatives phares de grandes villes qui ont entamé une lente reconquête de leur espace public. Le signe fondamental du changement radical et irréversible à mes yeux, ce sont des exemples moins connus, dans de petites villes.

Vézelay : petite ville, solution radicale !

Bourg plutôt que ville à proprement parler, Vézelay a néanmoins une structure urbaine de par son histoire de cité de pèlerinage sur le chemin de Saint-Jacques, avec son immense basilique trônant au sommet d’un colline, où l’on trouve art, bon vin et produits gourmands aux détours de rues désormais entièrement piétonnes. La dernière fois que je m’y suis rendu en 2017, la municipalité venait de prendre des mesures radicales qui auraient déclenché des émeutes à Paris : circulation interdite, hormis pour les résidents et les clients des hôtels ou personnes à mobilité réduite, sur des espaces de stationnement d’ailleurs très restreints. La mise en œuvre est assurée par des bornes escamotables qui requièrent un pass résident spécifique. Evidemment toute la circulation à l’intérieur du périmètre de la cité se fait à sens unique et est limitée à 30 km/h.

Plan de circulation de Vézelay (version 2013), désormais contrôlé par des bornes automatiques fermant la circulation (source : L'Yonne Républicaine)

Plan de circulation de Vézelay (version 2013), désormais contrôlé par des bornes automatiques fermant la circulation (source : L’Yonne Républicaine)

Des parkings à prix raisonnable (5€ la journée) sont mis à disposition au pied de la colline, les visiteurs sont invités à marcher jusqu’en haut de la colline (oui, c’est 10mn de marche et 100m de dénivelé), avec une option en navette électrique gratuite. Petite anecdote : on y a appliqué une stratégie de gestion des stationnements non-payés assez originale et accueillante (mais pédagogique). À l’ère des FPS…

La Commune de Vézelay vous invite à régulariser votre stationnement avant de vous verbaliser définitivement

À Vézelay, si vous ne payez pas votre stationnement, vous avez droit à une seconde chance !

Résultat ? Aucune émeute, aucune manifestation, aucune pétition, mais des centaines de milliers de visiteurs qui se promènent librement, avec facilité, en sécurité (Vigipirate n’est pas loin), dans des rues charmantes où les commerçants ne peuvent que se réjouir du passage de clients potentiels n’ayant pas à se soucier (même avec de jeunes enfants !) des quelques voitures avançant au pas.

Vézelay, paisible village bourguignon qui voit passer 1 million de visiteurs chaque année, aurait-il été envahi par un commando de « khmers verts » ? Cela paraît peu probable. Les raisons invoquées en Conseil Municipal pour justifier la décision sur le nouveau plan de circulation sont de « bon sens », au meilleur sens du terme, elles sont rationnelles, simples et claires, et devraient inspirer bien plus de décideurs, dans des villes autrement plus grandes :

« Les objectifs de ces mesures sont de sécuriser et faciliter la circulation des habitants, de mieux accueillir les visiteurs et de donner une meilleure visibilité aux commerces et restaurants. »

Ce reportage de France 3 ci-dessous montre l’accent mis, en termes de communication, sur la sécurité publique, le risque d’attentat (site touristique et cultuel) qui aujourd’hui emporte l’adhésion sans aucune critique possible. Déjà en 2013 le maire de la ville justifiait la démarche par sa dimension de sécurité publique : « En tant que maire, je suis responsable de la sécurité des biens et des personnes. J’ai donc pris des dispositions, en accord avec le conseil municipal ». Néanmoins les nombreux témoignages de visiteurs, de commerçants et de résidents confirment le véritable intérêt pour la qualité de vie.

Je déteste ce genre d’arguments, mais c’est une belle ironie de voir que le type d’arguments utilisé par le Préfet de Police à Paris (pour s’attaquer aux projets de pistes cyclables) conduit la préfecture de l’Yonne à une démarche bien plus intéressante de fermeture de la circulation automobile dans un bourg. En fait l’argument sécuritaire semble permettre de surmonter certaines inhibitions et peurs du changement, pour produire des effets positifs allant bien au-delà de la sécurité, des bénéfices de long terme qui font que plus personne ne souhaite réellement revenir en arrière.

Montauban : ville moyenne, mais précurseure

Je viens de terminer avec mes camarades de Ouishare et d’Intencité une belle étude mêlant mobilité et commerce dans le centre-ville de Montauban, pour le compte de la Communauté du Grand Montauban, la Ville et la CDC. Montauban n’est pas non plus une Ville dirigée par d’affreux activistes auto-voitures, ou des idéologues de la décroissance. Montauban est une ville moyenne dynamique qui a régulièrement investi depuis 15 ans au moins dans la valorisation de son centre-ville en termes culturels et d’activité commerciale ou touristique. Comme toutes les villes de cette taille, elle doit faire face au défi de maintenir une activité dynamique en centre-ville, malgré la présence de grandes surfaces commerciales en périphérie (mais cela reste relativement équilibré comparé à d’autres villes), à proximité d’une grande métropole.

Il y a 10 ans, la Ville et son maire ont décidé de piétonniser très largement le centre-ville, la « bastide » historique. À l’époque le sujet fut polémique, suscitant l’ire des commerçants, de certains automobilistes, et de tout un tas de personnes se sentant obligées de donner leur avis. Cette année nous avons mené une enquête d’ampleur dans le cadre de notre étude, et avons obtenu 1 203 réponses d’habitants, 45 commerçants (questionnaires distincts). Et bien l’accessibilité piétonne fait l’objet d’un consensus, avec 55% d’avis favorables (38% de mécontents) pour les habitants et 96% pour les commerçants (nous avons bien trouvé 2 grincheux pour éviter un 100% forcément gênant). C’est d’ailleurs le seul mode de transport qui donne largement satisfaction pour les répondants, et les entretiens qualitatifs que nous avons menés ont confirmé qu’il s’agit d’une appréciation qui se décline en attractivité commerciale, en image de marque pour la ville et son centre, en fierté des habitants, en qualité de vie, etc. La Dépêche, en 2013, notait déjà cette transformation positive pour la ville. Nos donneurs d’ordre avaient peine à croire qu’un projet jadis si « inflammable » remporte désormais une telle adhésion et soit bien devenu, pour tous, un atout pour la ville (même si c’était bien l’intention de départ, on l’imagine).

L'accès au centre-ville piéton est géré avec des bornes automatiques qui sont aussi une fonction de sécurité

Plan de la zone piétonne de l’hyper-centre de Montauban – La Bastide, en cours d’extension place Roosevelt-Cathédrale (Source : Ville de Montauban)

La zone piétonne de Montauban est encore en extension en ce moment, et la Ville doit faire face à de nouveaux défis, car elle est bien plus étendue que Vézelay : améliorer la connectivité à pied avec les autres quartiers (que la Bastide ne devienne pas une citadelle assiégée), développer le réseau cyclable et devenir une étape de cyclotourisme, mieux tirer parti des importantes capacités de stationnement disponibles, au service des commerces et de l’activité de centre-ville (ceci alors même que le niveau de satisfaction exprimé est assez faible – comme partout – et que les commerçants expriment leur mécontentement). Dans ce domaine, il y a tout lieu de penser qu’une transformation similaire à celle opérée il y a 10 ans pourrait changer demain la manière dont on accède à Montauban lorsqu’on n’y habite pas en centre-ville (et aussi rehausser l’attrait du centre-ville lui-même pour des familles de jeunes actifs, de jeunes seniors).

Chouette, cette place remplie de voitures, juste devant la cathédrale, va être rendue aux piétons ! Montauban - Place Roosevelt, Montauban - Source : Ghislain Delabie (CC-BY)

Chouette, cette place remplie de voitures, juste devant la cathédrale, va être rendue aux piétons ! Montauban – Place Roosevelt, Montauban – Source : Ghislain Delabie (CC-BY)

Une nouvelle fois, la dimension sécuritaire n’est pas absente (les plots automatiques doivent limiter la circulation dans un centre-ville commerçant où se déroulent des événements culturels), toutefois le mouvement a démarré il y a 15 ans avec des arguments : embellir la ville et donner un meilleur accès aux commerces étaient des objectifs assumés dès le départ.Ainsi il serait possible d’être ambitieux en matière de centre-ville, d’espace publique et d’équilibre entre tous les usagers, sans être une métropole mondiale jouant la carte des « bobos » et d’un positionnement progressiste  ?

Barcelone : la métropole mondiale que tout le monde regarde

Au moins avec Barcelone, les fadas de la voiture en ville retrouveront leurs repères : à côté d’Ada Colau, maire de Barcelone, Anne Hidalgo (sans lui faire offense) ferait presque  preuve d’une certaine tiédeur (bien que les deux femmes, avec quelques autres femmes maires de grandes villes, travaillent ensemble activement ces sujets). Ada Colau est une activiste du droit au logement, et elle a semble-t-il parfaitement fait le lien entre la culture de la voiture en ville et les problèmes de logement, de pollution et d’inégalités sociales associées. Son discours sur le sujet est assez limpide :

« Les villes ont la plus grande concentration de population, ainsi que d’opportunités économiques comme démocratiques, mais nous sommes aussi les principaux producteurs de pollution. Concrètement, le principal facteur de pollution dans les villes, ce sont les transports, particulièrement la voiture individuelle. Nous avons un défi qui ne peut attendre – réduire l’usage de la voiture individuelle dans les villes. »

Ada Colau, maire de Barcelone (Reuters, 2017)

Pourquoi réduire l’usage de la voiture individuelle ? Car « il s’agit clairement d’une situation d’injustice » ! En cause selon elle, le fait que ces véhicules représentent 1/4 des trajets mais 60% de l’occupation de l’espace public et 80% de la pollution. Le décor est planté…

Apparemment Mme Colau n’entend pas en rester à l’incantation : elle avait promis dans sa campagne un ambitieux plan de transformation de la ville, pas juste des transports, devenu fameux : l’organisation de la ville en « super-blocks » ou « superilles ». Cette structure géométrique tire parti de la conception de la ville en un quadrillage homogène, pour regrouper les blocs existants par 9 (=3×3) et constituer un superbloc à l’intérieur duquel la circulation est largement restreinte (mais pas interdite) afin de récupérer une grande partie de l’espace public pour d’autres usages (et les idées ne manquent pas !).

Les super blocs à Barcelone - Tirer parti des atouts de la ville pour offrir une nouvelle expérience quotidien, pour tous

Les super blocs à Barcelone – Tirer parti des atouts de la ville pour offrir une nouvelle expérience quotidienne, pour tous

J’arrête ma description ici et vous laisse regarder ce reportage, plutôt apologétique il est vrai, qui donne une idée du résultat dans un quartier populaire : cela fait un peu rêver tout de même ! Il est impressionnant de voir comment la vie du quartier semble transformée, ce qui se traduit concrètement par davantage d’activités sociales en extérieur, un plus grand recours à la marche, au vélo et aux transports en commun, une convivialité et une sécurité palpable qui semblent tout droit s’inspirer des principes décrits par Jane Jacobs dans son best-seller The Death and Life of Great American Cities dès les années 50 : créer les conditions d’une multiplicité d’activités dans l’espace public, c’est garantir la sécurité et la qualité de vie de tous.

Ce qu’il faut retenir

  1. La place de la voiture en ville concerne les villes de toutes tailles. Et le mouvement est globalement cohérent : la voiture a un avenir limité en ville, sous la forme que nous lui connaissons
  2. C’est du présent et du futur proche, pas de la science-fiction, même si les actions entreprises produisent leurs effets dans le temps long, car l’on travaille à l’échelle de la ville
  3. La sécurité est un allié : tout le monde a enfin compris, de manière dramatique, qu’une simple voiture (sans parler d’un poids lourd) peut s’avérer mortelle en ville, un environnement auquel elle est finalement inadaptée. Plus une ville est fréquentée, touristique, conservatrice et/ou de droite, plus cet argument aura un effet transformateur puissant, même si les vrais bénéfices de long terme sont tout autres
  4. Ne pas changer la mobilité, mais la vie des gens. Tout ceci n’est pas une question de transport, mais bien de mode de vie, de fabrication de la ville, de justice sociale. Barcelone illustre comment il faut emporter l’adhésion de la population en proposant une nouvelle qualité de vie
  5. Le mouvement est irréversible. Il n’est pas idéologique, il est rationnel en profondeur. La preuve ? C’est le marché et le capitalisme qui le démontrent : la Ville de Barcelone est confrontée à la gentrification et agit sur le logement. Pourquoi ? Quand vous reconfigurez un quartier pour y apporter de la qualité de vie, les prix de l’immobilier risquent de s’envoler, en attirant une population aisée. Tout le monde a envie d’emmener ses enfants à l’école à pied, de profiter de l’espace public, de prendre un verre en terrasse, de ne pas craindre de se déplacer dans la rue, etc.

En conclusion, j’attends avec impatience la campagne parisienne de 2020, et de voir le positionnement de tous ceux qui prétendent que les voies sur berges rendues aux parisiens sont une hérésie. Oui la question des circulations doit s’aborder dans une logique régionale. Mais allez donc expliquer à vos électeurs qu’ils devraient renoncer aux promenades familiales, aux déplacements en vélo ou aux flâneries en amoureux au bord de la Seine, allez expliquer aux commerçants que les touristes devraient se contenter d’une autoroute urbaine dans le secteur le plus attractif de Paris. Moi, je sors déjà les popcorns !


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